Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je le constate, nous partageons assez largement, semble-t-il, l'idée que la quasi-suppression des aides à la pierre est un mauvais choix pour assurer le droit au logement.

Nos propositions permettraient de les augmenter significativement, sans passer par une pression financière accrue sur les bailleurs, contrairement au choix effectué par le Gouvernement, qui, en créant un nouveau fonds national des aides à la pierre, confirme que les bailleurs sociaux sont les principaux financeurs des aides à la pierre. Un tel mécanisme revient à faire financer la construction nouvelle par les locataires eux-mêmes, indépendamment de toute idée de solidarité nationale.

Notre proposition de loi est claire. Nous souhaitons réorienter l'argent public, denrée rare et précieuse, vers la construction publique relevant de l'intérêt général. La suppression du dispositif Pinel est l'un des moyens permettant d'engager un pas en ce sens. Nous vous proposons de compléter cela par une ponction sur une part du CICE.

M. le rapporteur indique ne pas être favorable à cette suppression, parce que le dispositif serait trop jeune, fiscalement parlant. Il plaide ainsi pour la stabilité fiscale. Je dois vous dire que, en matière d'exonération fiscale, les gouvernements successifs ont le mérite de la stabilité ! (Sourires sur les travées du groupe CRC.) Ce qu'on appelle aujourd'hui le Pinel s'est appelé avant le Scellier, le Robien, le Besson ou le Borloo, même si un encadrement différent a essayé d'en limiter les effets négatifs. Chaque ministre du logement a eu sa niche fiscale. On est donc plus dans la continuité d'une politique d'exonération fiscale, sur laquelle nous devons avoir des données fines permettant une analyse, pour une prise de décision.

Au regard des éléments dont nous disposons, nous considérons que tous ces dispositifs n'ont pas fait la démonstration de leur pertinence en la matière. La construction immobilière qui en est issue n'est pas celle qui répond aux besoins et à la demande ; vous n'avez pas bordé ce sujet, madame la secrétaire d'État.

En termes de surface, notamment, le Pinel conduit, comme précédemment, à construire des logements de quarante et un mètres carrés en moyenne, alors que la surface moyenne nationale des appartements est de soixante-trois mètres carrés. Les débats en commission ont par ailleurs soulevé les problèmes en matière de qualité du bâti et d'absence de lien entre le territoire et le bailleur.

Autre critique, et non des moindres, nous avons besoin de logements aux loyers accessibles. Les prix de location de ces logements avec cette aide fiscale sont environ 20 % moins élevés que les prix du marché, ce qui est encore beaucoup trop élevé pour la grande majorité des demandeurs.

Nous devons donc être pragmatiques, a fortiori alors que son périmètre d'éligibilité a été élargi aux descendants et aux ascendants des propriétaires.

Qui peut contester aujourd'hui qu'il s'agit clairement d'une niche fiscale permettant aux ménages les plus aisés de payer moins d'impôt ? Pour notre part, nous considérons que l'argent public doit être mieux utilisé.

Vous nous accusez également de ne vouloir que du logement public au détriment du logement privé. Cet argument n'est pas recevable. Nous ne contestons pas l'intérêt du logement privé. Nous souhaitons même qu'un effort particulier soit effectué en faveur de la réhabilitation de l'habitat dégradé privé. Nous intervenons régulièrement, et depuis fort longtemps, pour l'augmentation des crédits de l'Agence nationale de l'habitat, l'ANAH. Nous disons simplement que le logement public doit faire l'objet d'une attention et d'un financement prioritaires par les pouvoirs publics. Nous déplorons d'ailleurs le désengagement de l'État sur tous les fronts, y compris sur le financement de l'ANRU ou de l'ANAH.

En revanche, vous ne pouvez pas soutenir l'idée d'un marché totalement libre et dérégulé tout en exigeant que ce marché soit soutenu très fortement par l'État au travers de dispositifs fiscaux, financés par les impôts de tous. Cet assistanat à la promotion privée est un luxe dont l'État n'a aujourd'hui plus les moyens.

Nous parlons en effet de sommes importantes, en l'occurrence 1,8 milliard d'euros pour le logement.

Ces sommes seraient mieux employées sous forme d'aides à la pierre pour construire du logement accessible et répondre à la demande, qui est immense. Je le rappelle, 1,8 million de nos concitoyens attendent un logement social, et ils sont plus de 5 millions à souffrir de loyers excessifs dans le privé. Les pouvoirs publics doivent répondre à cette urgence. À travers l'article 2 de cette proposition de loi, et par cohérence avec l'article précédent, nous souhaitons accroître la mixité sociale, ciment de la République, en rehaussant les plafonds d'accès au logement social.

En effet, en 2009, lors l'examen du projet de loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion, ou MOLLE, présenté par Mme Boutin, les plafonds d'accès au logement social ont été abaissés de 10 %. Je rappelle d'ailleurs que le Sénat avait à l'époque voté contre.

Nous proposons simplement de revenir sur cette erreur. En effet, cette mesure a conduit à sortir du parc social nombre de nos concitoyens pour y faire rentrer des personnes toujours plus fragilisées, entraînant, avec le dispositif de la loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable, ou DALO, une paupérisation globale du parc HLM, au sein duquel les locataires sont 70 % à être en situation de très grande pauvreté.

Aujourd'hui, cette situation fait que les personnes les plus fragiles sont bloquées dans un parc ancien, le plus dégradé et le moins cher, créant des poches d'exclusion et de mal-vivre cumulant tous les handicaps. Parallèlement, le parc neuf peine à trouver des locataires, puisque les prix de sorties, faute de subventions publiques à la hauteur, sont trop élevés pour les capacités contributives réelles des personnes éligibles aujourd'hui au parc social. C'est une double impasse.

Nous défendons une vision généraliste du logement social. Nous croyons que la politique publique du logement est le meilleur des leviers pour garantir le brassage des populations, dont nous avons plus besoin que jamais ; c'est l'une des conditions de la reconstruction de la République.

Il faut d'ailleurs le rappeler, le logement public a été le lieu de l'innovation, de la modernité architecturale. Non, le logement social n'est pas forcement laid et gris ! Inversement, le logement privé n'est pas forcément beau et coloré. Pour nous, le logement social, c'est un bâti de qualité qui répond à des normes environnementales de grande exigence. Nous devons retrouver cette ambition !

Il faut également cesser de penser qu'on traitera de l'accueil de la diversité des populations par la politique spécifique de la ville, qui souffre, comme toutes les politiques publiques, de l'austérité.

Permettre la mixité réelle et le vivre-ensemble, ce n'est pas seulement lié à l'intelligence des commissions d'attribution ou à la création de programmes « mixtes ». C'est aussi permettre de loger, au sein du parc social, des populations encore plus diverses. En tant que maire, je suis régulièrement confrontée à ces enjeux.

À nos yeux, les dispositions de cette proposition de loi font avancer le droit au logement, en réaffectant des crédits à la construction publique, faisant en sorte que la société multiple et plurielle qui fait la richesse et la force de notre culture commune puisse s'épanouir pleinement.

Billet original sur Senat Groupe CRC