inspiré du texte de Michel Husson paru dans l'HD du 6 nov 2015 .

La pensée dominante impose l'idée que le chômage de masse est la conséquence inéluctable de gains de productivité effrénés. Nous serions devenus tellement productifs qu' il n'y aurait plus de travail pour tous. Et si on réfléchissait  à la baisse du temps de travail ?

Le chômage de masse s'incruste et la timide reprise ne suffira pas à le faire reculer significativement. Selon l'OFCE, le taux de chômage ne commencerait à baisser qu'en 2016, pour « descendre » à 9,4 % fin 2017. Sans les politiques d'austérité, on aurait pu éviter de casser la reprise qui s'amorçait en 2011 et recommencer plus tôt à créer des emplois. Mais cela aurait été de toute manière hors de proportion avec un « stock » de chômeurs de plus de 5 millions de personnes. La croissance aide, mais à la marge.

C'est pourquoi il faut remettre sur le tapis l'idée de réduction de la durée du travail, comme le fait la CGT en avançant la perspective des 32 heures.

Certes, cela ne s'est pas très bien passé la dernière fois, avec l'intensification et l'annualisation du travail, mais le passage aux 35 heures a quand même entraîné la plus grande création d'emplois depuis le début du XXe siècle. 

Plus sérieusement, il faut se demander quelles sont les causes profondes du chômage et commencer par balayer cette idée simple, présentée comme une évidence: les gains de productivité seraient tellement énormes que la perspective d'un retour au plein-emploi serait une illusion. Dès lors, il ne resterait plus qu'à « faire avec ». Dans la version néolibérale, la conclusion est claire : mieux vaut un petit boulot, précaire et mal payé, que pas d'emploi du tout. Donc soyez employables (rentables) et on vous donnera les emplois que vous méritez. Dans l'autre camp, les adieux au plein-emploi conduisent à dire : puisqu'il n'y aura plus d'emplois, exigeons un revenu, universel, garanti, citoyen, etc.

Et pourtant cette idée selon laquelle le chômage est causé essentiellement par les gains de productivité est fausse. 

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Graphique 1

Il suffit de regarder le graphique ci dessous : depuis 60 ans, la tendance de long terme est au ralentissement des gains de productivité (la productivité augmente mais de moins en moins vite), alors que le chômage monte presque tout le temps. C'est d'ailleurs tellement peu vrai que chomage et gain de productivité varie plutot en opposion de phase (à une vague en creux de la croissance de la productivité correspond le plus souvent une bosse du chomage ). 

C'est bien dans l'abandon de pan entier d'activités principalement industrielle et/ou leur délocalisation et le non ou sous-investissement dans les nouveaux secteurs (pour répondre notemment aux nouveaux besoins sociaux comme le viellissement et la dépendance) qu'on retrouve les sources du chômage de masse. Mais il y a plus.  

 

Il faut donc remplacer cette idée fausse par une autre idée, qui peut paraître iconoclaste : seule la baisse du temps de travail permet vraiment de créer des emplois.

Démonstration : de 1950 à aujourd'hui, le nombre total d'heures de travail dans l'ensemble de l'économie a évolué dans une plage étroite, de plus ou moins 5 %. (Graphique 2 trait noir).

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Graphique 2: Quasi constance des heures travaillée depuis 1950. (Base 100 en 1913)

Bref ce « volume de travail » est à peu près constant. Cette quasi-constance est du au fait que les effectifs employés ont certe augmenté de 40 % (graphique 3- ligne verte foncée) mais que dans le meme temps la durée annuelle du travail a baissé de 27 % (Graphique 4).

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Graphe 3: Evolution population active - trait vert foncé.

Autrement dit, l'emploi dépend de la manière dont le volume global de travail se répartit entre créations d'emplois et baisse de la durée du travail. À volume de travail à peu près constant, une réduction insuffisante de la durée du travail conduit à trop peu de creation d'emplois et donc au chômage.

Le passage aux 32 heures à salaires conservés et en créant des emplois implique pour l' entreprise que la somme consacrée aux salaires sera plus importante. Et donc pour continuer de vendre ses produits au même

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Graphe 4: Heures travaillées par salarié

prix, elle doit réduire ses bénéfices. Aujourd'hui ce bénéfices est distribué, pour faire court, entre l'investissement et la rémuneration du capital (dividendes reversés aux actionnaires et les intérêts des emprunts). Hors la part des bénéfices detournées pour verser des dividendes aux actionnaires (graphique 5)  n'a cessé d'enfler depuis 1985, dépassant même depuis 2003 la part consacrée aux investissements (au détriment  de la compétitivité de certaines productions et de l'emploi). Les grosses entreprises sont donc pour le moins en capacité d'assumer un passage aux 32 heures avec création d'emploi sans devoir rogner sur les investissements.

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Graphique 5: part des dividendes dans la valeur ajoutée

Pour lutter contre le chômage, il faut entre autre renouer avec un projet de réduction générale du temps de travail, ce que propose à juste titre la CGT, même le Figaro en convient !